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18 octobre 2017 3 18 /10 /octobre /2017 20:33

N'oubliez pas de venir les jeudis aux séances gestion de la douleur

La douleur est invisible

La douleur, tout le monde sait ce que c’est. Cependant, pour la science, cela reste une notion complexe. La douleur est avant tout une expérience personnelle avec une dimension affective et cognitive (mémoire, concentration, attention) pour laquelle il n’existe pas de marqueur indiscutable. On a cru pouvoir se tourner vers l’imagerie cérébrale moderne (IRM fonctionnelle et autre Pet-Scan), pour «voir de l’extérieure» la douleur ressentie par un individu, mais les scientifiques ont dû rabattre leurs prétentions. En réalité, toutes les douleurs ne sont pas visibles à l’imagerie médicale et lorsque c’est le cas, elle n’est pas ressentie de la même manière par deux personnes.

Il n’empêche que les nombreux travaux menés ces vingt dernières années grâce à l’imagerie cérébrale ont confirmé ce que chacun sait intuitivement: Le contexte et son impact psychologique peuvent moduler la douleur dans un sens et dans l’autre. Les neuroscientifiques parlent de voies nerveuses ascendantes, pour la douleur qui remonte d’un endroit du corps malmené (stimulus douloureux), et de voies descendantes pour celles qui partent du cerveau (pensées, émotions, mémoire etc.) pour venir moduler la douleur. Comme si les deux influx se rencontraient pour décider de l’intensité et du caractère plus ou moins déplaisant du message sensoriel envoyé par le corps.

Le cerveau module la douleur

Une modulation du cerveau qui peut donc amplifier ou atténuer la douleur. L’atténuer, lorsque l’on anticipe par exemple les bienfaits d’un massage profond. L’amplifier lorsque l’on est victime de douleurs chroniques, comme c’est le cas dans la fibromyalgie. D’ailleurs, même en l’absence de tout stimulus douloureux, des zones de la douleur peuvent s’activer dans le cerveau, en cas de fibromyalgie. Encore faut-il être prudent car la douleur a un effet très large sur le cerveau, au-delà de ces zones spécifiques. Là encore, il suffit d’avoir mal quelque part pour savoir que les capacités du cerveau à se mobiliser sur une tâche quelconque sont sérieusement compromises.

Ce qui est intéressant avec cette meilleure connaissance de la modulation cérébrale de la douleur, c’est qu’elle peut être utilisée au bénéfice de la personne qui souffre. De nombreuses thérapies non médicamenteuses reposent sur la modulation des circuits cérébraux de la douleur, soit à base de relaxation, massage ou autres manipulations physiques, soit visant directement le cerveau: thérapies cognitives comportementales, gestion des émotions. Cette dernière approche vient de montrer des résultats très intéressants pour la fibromyalgie dans une étude américaine que nous avons évoqué le 17 octobre lors de l’émission Toc Toc Docteur «spécial fibromyalgie».

Lorsque quelqu’un se plaint d’avoir mal est-il possible d’utiliser l’imagerie cérébrale (IRM fonctionnelle, Pet-scan, EEG etc.) pour dépister les simulateurs? C’est la question que se posent parfois la justice, lorsqu’elle est saisie, ou les assureurs, lorsqu’ils doivent payer. Un groupe d’experts, incluant non seulement des praticiens mais aussi des juristes et des spécialistes de l’éthique médicale, a été mis en place par l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) pour y répondre, mais en ajoutant celle-ci: Si c’est possible, est-ce souhaitable?

Les dangers du «détecteur de douleur»

Ils viennent de publier leurs conclusions après deux ans de travail, dans la revue scientifique «Nature reviews Neurology» et mettent en garde contre cette tentation techno-intrusive: «Sur la base de ce que l’on sait aujourd’hui, l’imagerie cérébrale n’est pas suffisamment fiable pour être utilisée comme détecteur permettant d’appuyer ou de contredire ce que dit un individu», écrivent-ils. Autrement dit ces outils de visualisation de la douleur doivent rester des outils de recherche. Et le jour où les progrès le permettront? Les experts craignent le pire: «La disponibilité d’un test le rendrait de facto incontournable dans la pratique, si non dans la loi».

 

Utile en médecine

Le développement d’un test est pourtant inéluctable. Car si chacun d’entre nous a une idée assez précise de ce qu’est la douleur, les choses se compliquent dès qu’il s’agit d’estimer celle qui est ressentie par quelqu’un d’autre. Ce qui peut être très ennuyeux en médecine. Bien sûr, en pratique, il suffit de poser la question. C’est d’ailleurs ce qui font couramment les soignants, y compris en interrogeant les enfants grâce à des petits dessins de visages plus ou moins souriants ou grognons (échelle visuelle analogique). Mais l’idéal serait de disposer d’une mesure objective (indépendante du sujet), par exemple un capteur indiquant le niveau de douleur ressenti. «Un tel test serait particulièrement utile pour des personnes incapables de verbaliser (par exemple des enfants ou adultes qui sont handicapés, très jeunes ou déments), dans le cas où il y a un décalage entre le comportement d’une personne et ce qu’elle dit, et aussi pour personnaliser la prise en charge», écrit le groupe de travail de l’IASP.

INTERVIEW - Le Pr Serge Perrot est rhumatologue au Centre d'étude et de traitement de la douleur (CETD) de l'Hôtel-Dieu, à Paris.

Le Figaro. - Vous traitez dans votre service des patients atteints de douleurs persistantes, résistantes à tout traitement. Quand vous les recevez, intégrez-vous toujours l'idée qu'il y a une part psychologique à leur mal?

Serge Perrot. - Bien sûr! Je dis toujours: «La douleur, c'est dans la tête…» en ajoutant vite «… mais ce n'est pas psychologique.» Car le siège des sensations douloureuses se trouve dans le cerveau, qui décode les messages envoyés par les terminaisons nerveuses. Cette zone de la douleur est très proche de celles qui régissent le sommeil, l'anxiété, la dépression… Et l'on sait que le risque est un débordement de l'inflammation à toutes ces dimensions. Cela n'est donc pas seulement psychologique. Il est aussi évident que dès qu'une personne a mal, cela concerne à la fois ses sensations et sa vie émotionnelle. Nous l'avons tous expérimenté: lorsqu'on va se faire arracher une dent dans une période où tout est heureux dans notre vie, la douleur de l'opération est bien moindre que lorsque nous sommes dans une situation précaire ou contrarié par une difficulté affective… Mais il faut toujours croire celui qui a mal. C'est cet entrelacement de toutes ces dimensions qui rend la douleur souvent complexe. Elle reste d'ailleurs dans de nombreux cas une énigme.

 

Qu'est-ce qui la rend si complexe?

D'abord, c'est une expérience invisible. Alors qu'on peut mesurer le taux de glucose chez un diabétique, il n'y a pas de marqueur biologique chez la personne douloureuse, qui en est alors réduite à expliquer son mal par la parole et le langage corporel. Ses messages sont ensuite reçus par un entourage qui a lui aussi ses codes quant à la définition du mal… Multiple, psychosomatique, la médecine de la douleur est donc une médecine de la complexité qui, dans la prise en charge d'une personne, doit toujours évaluer la part du fonctionnel, du psychologique et du social.

Quelles sont vos armes les plus à la pointe pour aider vos patients?

Nous avons mis en place des groupes d'éducation thérapeutique pour ces patients douloureux. Ils se retrouvent, ainsi que des soignants, pour échanger sur leur expérience, leur manière de vivre avec la douleur. Nous les aidons en leur donnant des pistes pour gérer leur stress, les protocoles médicamenteux, l'activité physique qu'ils peuvent envisager… Comme ces patients souffrent notamment de l'incommunicabilité de leur mal et d'un grand sentiment d'injustice («Pourquoi ne puis-je, moi, en finir avec cette sensation persistante?...»), nous travaillons sur ces deux notions, qui nous amènent aussi à les aider à redonner du sens à leur vie.

Pourquoi?

La douleur a horreur du vide. Elle aime gagner du terrain dans une existence qui a du mal à reprendre ses droits. Nous invitons donc nos patients à remplir leur vie, quoi qu'il se passe: continuer à bouger quand c'est possible, trouver des stratégies pour accomplir ce qui leur tient à cœur… Chaque personne est différente sur cette question, aussi faut-il être créatif au cas par cas. La douleur rend humble car, avec chaque patient, c'est une nouvelle aventure.

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