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14 février 2020 5 14 /02 /février /2020 11:53

série de 6 articles publiés en 2019 sur Le Figaro

  1. LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (1/6) - Les neurosciences éclairent d’un jour nouveau la fougue de l’adolescence et la sagesse qui vient avec l’âge.
  2. LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (2/6) Les reins, des purificateurs du sang ultrasophistiqués
  3. LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (3/6) Le foie: batterie géante et superfiltre «détox»

    - La nuit, c’est lui qui nous rassasie. Le foie est la principale réserve d’énergie de l’organisme.

  4. LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (4/6) - L’estomac, un redoutable sac d’acide chlorhydrique
  5. LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (5/6) Les poumons, une pompe autonome sous contrôle
  6. LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (6/6) Le cœur, la plus économe des batteries

 

Le cerveau, mature à 25 ans mais en constant remaniement

LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (1/6) - Les neurosciences éclairent d’un jour nouveau la fougue de l’adolescence et la sagesse qui vient avec l’âge.

Par Damien Mascret

Publié le 28 juillet 2019 à 17:58, mis à jour le 28 juillet 2019 à 17:58

Le Dr Thomas Willis avait une passion : ouvrir les crânes et en extraire le cerveau pour l’examiner sous toutes les coutures ! En 1664, ce professeur de philosophie naturelle de la respectable université d’Oxford publie la somme de ses observations : Cerebri anatome (Anatomie cérébrale), livre riche d’illustrations inédites sur le cerveau et les nerfs qui s’en échappent. Il marque l’acte de naissance des neurosciences. Après Willis, le cerveau, cette masse gélatineuse prompte à se putréfier après la mort, s’impose définitivement comme le centre du système nerveux.

Il faudra toutefois attendre l’avènement de la radiologie moderne pour que soient véritablement levés les secrets de nos pensées et de nos émotions, notamment avec l’imagerie à résonance magnétique et la tomographie à émissions de positons. Les chercheurs en neurosciences peuvent désormais visualiser l’activité des différentes parties du cerveau en action et commencent à en décrypter les connexions.

On découvre ainsi chez les adolescents un cortex préfrontal médian (à l’avant du cerveau) plus réactif que celui des adultes, ce qui leur inflige d’intenses émotions relatives à la conscience sociale, autrement dit la façon dont on pense être vu par les autres en société. Le pic d’activité du cortex préfrontal médian est atteint aux environ de 15 ans, ce qui souligne l’importance attachée à cet âge aux jugements des pairs. En outre, l’émotion l’emporte plus facilement sur la raison car la maturité du cortex orbito-frontal, partie la plus évoluée du cerveau, impliquée dans la planification et la résolution des problèmes, ne sera atteinte qu’aux alentours de 25 ans.

Les bienfaits d’une vie stimulante

C’est aussi grâce à l’imagerie de l’activité cérébrale qu’en 2002, des chercheurs américains ont découvert comment la mémoire des seniors pouvait être aussi performante que celles de jeunes adultes dans des conditions expérimentales. Les seniors mobilisent tout simplement davantage de zones du cerveau. Cette mobilisation générale des neurones peut d’ailleurs être entretenue en menant une vie stimulante. Il y a deux ans, des chercheurs de l’université du Texas ont montré que de 50 à 89 ans, ce sont les cerveaux les plus occupés qui fonctionnent le mieux.

Lecture, apprentissage de nouvelles activités, jeux divers et surtout entretien de relations familiales, amicales et sociales n’évitent sans doute pas d’avoir une maladie d’Alzheimer si on doit en avoir une mais peuvent sensiblement la retarder en challengeant notre cerveau au quotidien.

Car on le sait maintenant, la force de notre cerveau réside dans ses connexions. De la naissance à la mort, les milliards de neurones qui relient les zones cérébrales ne cessent de modifier les liens entre elles. Peu utilisées, certaines voies ressemblent à des chemins de terre laissés à l’abandon ou entretenues au quotidien ; d’autres sont de véritables autoroutes.

« Précisons que la carte n’est pas le territoire », expliquent les docteurs Marc Lévêque, neurochirurgien, et Sandrine Cabut, journaliste au Monde, «Sur une cartographie classique, les routes ne varient pas. Lorsque l’on parle du cerveau, les régions varient d’un individu à l’autre » (La Chirurgie de l’âme, Éditions JC Lattès, 2017).

Elles varient aussi dans le temps. Chaque nuit, en particulier, des remaniements ont lieu. Nous avons peut-être le sentiment d’être fidèles à nous-même mais ce nous-même est un peu différent chaque matin. Professeur de neurosciences à l’université de Berkeley, Matthew Walker explique qu’un tri sélectif a lieu quand nous dormons. Le cerveau transfère les souvenirs importants pour les stocker dans notre mémoire et se débarrasse des expériences sans importance. À condition d’éviter les somnifères et l’alcool qui entravent le bon déroulement de ce travail nocturne. Le cerveau ne dort donc jamais complètement.

Les reins, des purificateurs du sang ultrasophistiqués

LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (2/6) - En 1945, avec le premier organe artificiel capable d’épurer le sang débute la dialyse qui sauvera des millions de vies.

Publié le 29 juillet 2019 à 17:13, mis à jour le 30 juillet 2019 à 14:31

Jusqu’au XIXe siècle, examiner et parfois goûter les urines faisait partie de l’examen de base des médecins pour avoir une idée de l’état général de leurs patients. Une bonne idée puisque bien des maladies se manifestent effectivement par des modifications de la couleur, de l’odeur ou du goût des urines. Aujourd’hui, on trempe encore une bandelette imprégnée de différents réactifs pour un premier test rapide.

Schématiquement, la fonction principale des reins est de fabriquer l’urine en filtrant le sang pour éliminer les déchets toxiques. Ceux-ci sont naturellement produits par les centaines de réactions chimiques qui se produisent à chaque instant dans notre corps. Notamment l’urée, fabriquée par le foie lors de la dégradation des protéines de l’alimentation.

Ce n’est qu’en 1823 qu’est découvert le rôle crucial des reins dans l’élimination de l’urée. Deux chimistes français, Prévost et Dumas, observent chez un animal privé de ses reins que le taux d’urée augmente dans le sang jusqu’à provoquer sa mort.

Ce sera malheureusement le sort de tous les malades arrivés au stade d’insuffisance rénale terminale jusqu’à la mise au point de la dialyse (rein artificiel). Ainsi en 1963, au jeune interne de néphrologie, Olivier Kourilsky, qui s’interrogeait sur la maladie de «cette jeune fille d’une vingtaine d’années qui se tient dans son lit, demi-assise, le teint pâle, le regard triste», on répond encore: «Ah oui, elle a une néphrite chronique avec une insuffisance terminale, on ne peut malheureusement rien faire. Elle va mourir » (La Médecine sans compter, Éditions Glyphe).

L’incroyable et ingénieuse complexité de la structure fonctionnelle des reins n’est éclaircie qu’à la fin des années 1950

Car si les reins ne sont plus capables d’épurer le sang de l’urée et des autres toxines, il faut un appareil externe capable de le faire, un organe artificiel en somme. Les premières tentatives échouèrent dans les années 1920 jusqu’à ce que le Néerlandais Willem Kolff y parvienne pour la première fois en 1945. Ce succès ouvre la voie au développement du rein artificiel qui se répandra dans les années 1960 et à sauver depuis des millions de vies. Il n’est pas exagéré de dire que Willem Kolff fait partie des oubliés du Nobel.

L’incroyable et ingénieuse complexité de la structure fonctionnelle des reins n’est éclaircie qu’à la fin des années 1950, par le médecin américain Carl Gottschalk et son assistante Margaret Mylle. En 1959, ils percent le secret des reins : un système (dit «à contre-courant amplificateur») qui permet de filtrer les différentes molécules tout en récupérant au maximum l’eau et le sel afin de réduire le risque de déshydratation.

C’est ce qui explique qu’en cas de déshydratation, les urines soient foncées au lieu d’être jaune pâle car elles sont concentrées au maximum. Un bon moyen de savoir si l’on ne boit pas assez. En pratique, grâce à un système hormonal subtil, les reins se chargent habituellement tout seuls de régler la quantité d’urine produite, et d’envoyer à la conscience un signal de soif si nécessaire.

L’autorégulation de la filtration des reins est tellement précise qu’elle leur permet de fonctionner à pression constante que la pression sanguine soit basse ou haute, tant qu’elle ne dépasse pas 20 (cm de mercure) et n’est pas inférieure à 8. En dessous de cette pression artérielle, les reins se bloquent. De même, en dépit de leur impressionnante capacité de concentration des urines (180 l de sang traversent chaque jour les reins mais seulement 1 à 1,5 l filtré ira dans la vessie!), il faut éliminer au moins un demi-litre d’urines par jour pour pouvoir se débarrasser des déchets du corps.

Le foie: batterie géante et superfiltre «détox»

LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (3/6) - La nuit, c’est lui qui nous rassasie. Le foie est la principale réserve d’énergie de l’organisme.

Publié le 30 juillet 2019 à 14:17, mis à jour le 30 juillet 2019 à 14:17

 

 

 

 

C’est l’organe le plus lourd du corps humain ! Il pèse en moyenne 1,5 kg. Mou et gorgé de sang, c’est lui que visent les boxeurs en visant sous les côtes à droite, mais il est soigneusement protégé par le bas de la cage thoracique. Il possède surtout une propriété extraordinaire. Là où les autres organes cicatrisent et en garde la trace quand ils sont blessés, le foie lui est capable de se régénérer.

Ainsi, le foie, même atteint de lésions sévères, comme c’est le cas dans l’obésité, la consommation excessive d’alcool ou les infections par les virus des hépatites, peut réussir à se réparer si on perd du poids, s’abstient de boire de l’alcool ou traite son infection par des antiviraux adaptés. Cependant, le diagnostic n’est pas toujours facile à poser car un foie, même abîmé, peut rester longtemps indolore, ne donnant aucun symptôme.

Lorsque le foie souffre, les « transaminases » (ALAT et ASAT) sont augmentées. Ces enzymes sont en effet libérées lorsque des cellules du foie meurent. Reste alors à en trouver la cause. Ce peut être une réaction brutale due à une intoxication par l’alcool, des champignons ou un médicament, mais il peut également s’agir d’un virus qui s’installe définitivement (hépatite chronique). En l’absence de traitement, le risque est alors de voir le foie se durcir (fibrose) avant d’aboutir à une cirrhose puis parfois au cancer.

« Véritable alambic naturel, chargé de détoxifier le sang venant du tube digestif juste avant d’arriver au cœur, le foie prend en charge l’ammoniaque, un déchet hypertoxique produit par la dégradation des protéines alimentaires », explique au Figaro le Pr Sébastien Dharancy, hépatologue au CHRU de Lille.

Mais le foie prend soin de ne pas s’en débarrasser directement dans le sang car lorsque le taux sanguin d’ammoniaque s’élève, ce qui peut arriver lorsqu’il est très abîmé, c’est le coma qui guette. «Le foie a donc trouvé un subterfuge: il transforme l’ammoniaque en urée, également toxique, mais qui a l’avantage d’être rapidement prise en charge par les reins et éliminée dans les urines», explique le Pr Gabriel Perlemuter dans Les Pouvoirs cachés du foie (Flammarion, 2018).

Aussi étrange que cela puisse paraître, le foie s’engraisse lorsque l’on consomme trop de sucres !

Mais le foie n’est pas seulement chargé de la détoxification, il joue également d’autres rôles majeurs, notamment dans l’équilibre glycémique (taux de sucre dans le sang). Car c’est le foie qui a la charge de stocker le sucre (sous forme de glycogène), notamment lors des repas, puis de le libérer au fil des 24 heures en fonction des besoins. C’est par exemple en libérant la nuit du glucose dans le sang que le foie nous évite d’être affamés au réveil.

Évidemment, il n’est pas question de se passer des sucres contenus dans l’alimentation car c’est à partir d’eux que le foie, véritable « batterie géante » de l’organisme va stocker l’énergie ; inutile toutefois de dépasser la charge maximale, soit environ 100 g de glucose par jour, l’équivalent d’une vingtaine de carrés de sucre.

Si on le fait, alors le foie va le garder dans ses propres cellules après l’avoir transformé en graisses (stéatose hépatique) plutôt que de le laisser circuler dans le sang. Aussi étrange que cela puisse paraître, le foie s’engraisse lorsque l’on consomme trop de sucres !

En pratique, il est inutile de se lancer dans des « cures détox » à base de produits miracles car c’est un travail que le foie fait tout seul. En revanche, on peut tout de même aider son foie en mangeant moins sucré et, bien sûr, en évitant l’alcool. Certains estiment que l’on développe une stéatose hépatique à partir d’un seuil de quatre verres standards par semaine ! Ultime raison de prendre soin de son foie, il s’avère, avec ses multiples fonctions, un organe tellement complexe que personne n’a encore réussi à fabriquer un foie artificiel.

L’estomac, un redoutable sac d’acide chlorhydrique

LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (4/6) - L’acidité gastrique a longtemps fait obstacle à la chirurgie, jusqu’à ce qu’un coup de fusil accidentel brise le tabou.

Publié le 31 juillet 2019 à 15:40, mis à jour le 31 juillet 2019 à 15:40

L’accident s’est produit le 6 juin 1822 à Fort Mackinac, sur une île du grand lac Huron. Au petit matin, le Dr William Beaumont, chirurgien militaire du fort, entend un coup de feu. Un tir accidentel, à bout portant, vient de truffer de plomb le thorax et le flanc d’un jeune trappeur franco-canadien de 28 ans.

Arrivé sur les lieux, Beaumont nettoie la blessure et découvre un orifice de la taille d’une paume de main, d’où s’écoulent du café et des aliments. L’estomac a été perforé. Un arrêt de mort. Pourtant, contre toute attente, le trappeur qui répond au nom de Saint-Martin va vivre jusqu’à l’âge de 86 ans. Avec une étonnante séquelle : Saint-Martin garde une fistule stomacale - un orifice à la surface de la peau - qui mène droit dans son estomac si on abaisse le morceau de paroi muqueuse qui, heureusement, la ferme et empêche l’écoulement d’acide gastrique à l’extérieur.

Un accès direct à l’estomac d’un homme vivant, voilà une aubaine dont le Dr Beaumont va profiter pendant une dizaine d’années pour étudier la digestion. Il va ainsi découvrir que le temps de séjour des aliments dans l’estomac varie considérablement en fonction de leur composition. Ainsi, remarque Beaumont, plus les aliments sont riches en graisses et en protéine et plus leur dégradation est lente, tandis que les aliments riches en sucre sont rapidement digérés. Mais surtout, en 1833, Beaumont publie un livre sur la digestion qui va donner à d’autres chirurgiens l’idée de réaliser une ouverture artificielle à l’estomac pour nourrir un malade, lorsque l’entrée est obstruée par un cancer inopérable, au lieu de le regarder mourir de faim.

Les inconvénients d’un milieu acide

Le tabou de l’estomac était brisé et le mouvement était lancé

Si l’idée de la gastrostomie fait ainsi ses premiers pas dans l’imagination des chirurgiens, il faut attendre le 29 janvier 1881 pour que soit rapportée par le chirurgien viennois Theodor Billroth la première opération réussie d’un cancer du pylore (technique baptisée Billroth I), la zone de sortie de l’estomac. Billroth a tenté l’opération chez une femme de 43 ans réduite à l’état de squelette car elle ne peut plus rien avaler et tourmentée de vomissements incessants. La patiente ne survécut que quatre mois, mais le tabou de l’estomac était brisé et le mouvement était lancé. Les années suivantes, la technique fut améliorée avant de se généraliser progressivement.

L’estomac a l’étonnante propriété de fabriquer de l’acide chlorhydrique, ce qui est très utile pour la digestion et pour détruire la plupart des bactéries avalées, mais peut aussi présenter des inconvénients. Certes, la paroi de l’estomac possède plusieurs lignes de défense contre l’acidité gastrique, notamment un film gélifié de quelques dixièmes de millimètre d’épaisseur. Mais la fragilisation de la paroi gastrique (liée à la baisse de ces défenses) peut entraîner des lésions douloureuses : les ulcères. De plus, le milieu acide est parfait pour le développement d’une bactérie, Helicobacter pylori, qui par l’inflammation chronique qu’elle provoque (gastrite) augmente considérablement les risques d’ulcères. D’où le traitement antibiotique prescrit lorsqu’elle est présente.

Enfin, un autre moyen de défense contre l’acidité explique pourquoi les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont redoutables pour l’estomac et peuvent aller jusqu’à provoquer des hémorragies digestives. En effet, les AINS empêchent l’action protectrice des prostaglandines. Ajoutons qu’ils perturbent aussi l’agrégation plaquettaire, augmentant le risque de saignement, et les conditions idéales sont réunies pour provoquer des ulcères et hémorragies. Prendre les AINS pendant le repas ne suffit pas toujours pour éviter cette agression. Surtout si l’alcool et le tabac viennent s’ajouter et fragiliser aussi la muqueuse gastrique.

Les poumons, une pompe autonome sous contrôle

LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (5/6) - Maîtres des échanges gazeux, ils fonctionnent sur commande… mais seulement jusqu’à un certain point.

Publié le 1 août 2019 à 16:08, mis à jour le 1 août 2019 à 16:08

Pourquoi respirons-nous ? La réponse intrigua les savants pendant des siècles. En 1660, un ingénieux chimiste de l’université d’Oxford, Robert Boyle, invente un appareil muni d’un réservoir de verre dans lequel il place un canard. Cet animal ayant, comme d’autres gibiers d’eau, la capacité de « rester un grand moment sous l’eau sans préjudice », le savant estime qu’il supportera mieux l’expérience, explique-t-il dans un article publié en 1670. En l’occurrence, vider de son « esprit vital » (l’oxygène ne sera découvert qu’en 1774) l’air contenu dans le réservoir. « Nous mîmes le canard mature dans le réservoir, puis nous pompâmes l’air, raconte Boyle. Déjà, en l’espace d’une minute, il apparut défait, et entre la première et la deuxième minute, sa lutte et ses mouvements convulsifs s’accrurent tant, sa tête pendant mollement, qu’il sembla juste sur le point de mourir. Nous le sauvâmes en faisant arriver l’air sur lui.»

Boyle fait la même expérience avec une chandelle allumée et la voit s’éteindre en quelques instants. «Il démontre ainsi que l’air joue un rôle essentiel à la fois pour la respiration des organismes vivants et pour la combustion», explique Rémi Cadet dans L’invention de la physiologie(éditions Belin, 2008). Dès lors, les chimistes vont essayer de comprendre la nature chimique des gaz respiratoires. C’est le Français Antoine Laurent Lavoisier qui démontre, un siècle après l’expérience de Boyle, que le dioxygène (O2) est inspiré alors que le dioxyde de carbone (CO2) est expiré. Pour Lavoisier, la respiration est donc une réaction chimique qui se produit dans le poumon. La réalité va s’avérer un peu plus complexe.

Car si des échanges gazeux ont bien lieu dans les poumons (respiration externe), comme l’ont découvert les savants des XVIIe et XVIIIe siècles, ils se produisent aussi au niveau de chacune des cellules de l’organisme (respiration interne), dans des petites usines chimiques appelées mitochondries. C’est là que se déroule la respiration cellulaire, comme vont le démontrer en 1952 deux biochimistes américains, Eugène Kennedy et Albert Lester Lehninger, quatre-vingts ans après que le Français Paul Bert a prouvé l’existence d’une respiration tissulaire, des fragments de cerveau consommant par exemple trois fois plus d’oxygène que des fragments de testicule.

C’est Julien Jules César Legallois, médecin de la prison de Bicêtre, qui va localiser en 1811 les centres du rythme respiratoire dans le bulbe rachidien, au niveau du trou occipital

Reste la question du contrôle de la respiration, puisqu’elle est à la fois involontaire et volontaire. On peut par exemple la bloquer ou la modifier volontairement pour parler ou chanter, mais on perd ce contrôle si le CO2 s’élève trop. Priorité à la respiration! Ce qui explique qu’il soit impossible de bloquer sa respiration volontairement jusqu’à l’asphyxie.

S’agissant de la régulation involontaire de la respiration, de nombreux facteurs peuvent jouer un rôle. Évidemment l’effort physique, car les besoins musculaires en oxygène sont accrus, mais aussi la fièvre, qui accélère le métabolisme (ensemble des réactions chimiques de l’organisme), ou encore des émotions fortes (excitation, peur, pleurs), des drogues, des médicaments tels que les somnifères, ou des toxiques tel l’alcool.

Finalement c’est Julien Jules César Legallois, médecin de la prison de Bicêtre, qui va localiser en 1811 les centres du rythme respiratoire dans le bulbe rachidien, au niveau du trou occipital. C’est là qu’arrivent des neurones (respiration volontaire) mais surtout de nombreuses informations de l’état chimique du corps en général et du sang en particulier (respiration involontaire). Voilà pourquoi l’absence de respiration spontanée est un témoin de mort cérébrale. Le signe que le cerveau n’est même plus capable d’assurer cette fonction aussi élémentaire qu’essentielle : respirer.

Le cœur, la plus économe des batteries

LA VIE SECRÈTE DES ORGANES (6/6) - Une machine de guerre qui, alimentée en oxygène, peut continuer à battre en dehors du corps humain.

Publié le 2 août 2019 à 14:36, mis à jour le 2 août 2019 à 14:36

Pour les physiologistes, l’homme a deux cœurs, accolés l’un à l’autre. Le cœur droit, qui reçoit le sang veineux de l’ensemble du corps et l’envoie aux poumons pour se recharger en oxygène (en échange du dioxyde de carbone). Le cœur gauche, qui reçoit le sang oxygéné en provenance des poumons et le redistribue aux organes. Petite circulation entre le cœur et les poumons ; grande circulation entre le cœur et les autres organes. Un double circuit qui semble aujourd’hui logique.

Pourtant, pendant près de quinze siècles, des générations de savants se rangèrent derrière une théorie fausse sur la circulation sanguine. Celle du médecin de l’Antiquité Claude Galien, auteur de plus de 500 livres. Galien croyait que le sang était fabriqué par le foie puis dirigé vers le cœur où une partie allait se charger en air dans les poumons tandis que l’autre traversait le cœur pour se réchauffer.

Au début du XVIe siècle, Galien est remis en cause par trois savants qui se disputent la découverte de la circulation correcte du sang: le Flamand Andries van Wesel (alias André Vésale), nommé professeur d’anatomie à la prestigieuse université de Padoue en 1537, son assistant puis successeur l’Italien Realdo Colombo, et enfin l’Espagnol Michel Servet, étudiant à Padoue à cette époque.

Des performances impressionnantes

C’est pourtant un médecin anglais qui rafla la mise pour la postérité, William Harvey, revenu à Londres après avoir étudié à Padoue en 1600. Il publie, en 1628, Exercitatio anatomica de motu cordi et sanguini , qui décrit précisément la circulation. Cependant, le mérite de la découverte de la petite circulation, entre le cœur et les poumons, ne revient ni à Harvey, ni à Vésale, pas plus qu’à Servet ou à Colombo.

La preuve se trouve dans une bibliothèque de Berlin. En 1924, un Égyptien, étudiant en médecine, en retrouve la description exacte dans l’ouvrage d’un célèbre médecin de Damas, Ibn Nafis, qui vivait au Caire vers 1250. De plus, l’œuvre d’Ibn Nafis a été traduite en latin au XVe siècle par un médecin de l’université de Padoue, Andrea Alpago, qui résida à Damas de 1487 à 1520 avant de revenir à Padoue. Or « Paolo, le neveu d’Andrea Alpago, devint étudiant à Padoue entre 1527 et 1541 et fit connaître les manuscrits d’Ibn Nafis à ceux qui étaient ses maîtres, c’est-à-dire Vésale, Colombo et d’autres, dont Servet, qui passait par là pour soutenir sa thèse », explique l’historien de la médecine Jean-Noël Fabiani dans L’Incroyable Histoire de la médecine (Les Arènes BD, 2018). L’histoire de la découverte de la circulation sanguine est corrigée et ses mystères aujourd’hui quantifiés.

Le débit cardiaque étant de 5 à 6 litres par minute au repos, le cœur pompe plus de 8000 litres de sang par jour

Dr Florian Zores

Les performances du cœur sont impressionnantes pour un organe qui ne consomme pas plus d’énergie qu’une ampoule à basse consommation. « Le débit cardiaque étant de 5 à 6 litres par minute au repos, le cœur pompe plus de 8000 litres de sang par jour, explique le Dr Florian Zores, cardiologue à Strasbourg, et il commence à battre dès la quatrième semaine de vie du fœtus. Soit plus de 3 milliards de battements en quatre-vingts ans !»

Dans la grande circulation, le cœur alimente en priorité les organes vitaux, c’est pourquoi 4 % du débit cardiaque part dans les artères nourricières du cœur (les coronaires), 13 % pour le cerveau car les neurones meurent rapidement quand on les prive d’oxygène, et 20 % dans les reins, qui ne pèsent pourtant que 0,5 % du poids du corps mais épurent le sang. Le reste se répartit entre les différents organes, notamment le tube digestif (24 %), les muscles (21 %) et la peau (10 %). Toutefois, en cas d’effort physique, les trois quarts du débit cardiaque peuvent être détournés par les muscles.

Mais le plus étonnant pour un organe capable d’une autorégulation remarquable reste son autonomie. « Alimenté en oxygène, le cœur peut continuer à battre en dehors du corps car il dispose de son propre système électrique !», s’émerveille le Dr Zores. Un phénomène qui a toujours fasciné les hommes.

 

 

 

 

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